top of page

Megisseries de GRAULHET "Citadelles de l'Eau et du Vent"

Le CUIR

 

Il a fait l’histoire de l’humanité, de la préhistoire à nos jours (Abris, vêtements, guerre, paix, chasse, chausses et gants, chapeaux et colles, écriture et enluminures), il a fait les révolutions industrielles, accompagné la marche des armées anglaises en Inde et des révolutionnaires français à travers l’Europe, il n’a guère attiré les archéologues et les historiens, pourtant le cuir est depuis toujours le compagnon de l’homme.

 

Une histoire à écrire

Dès le IIIe millénaire av. J.-C. le travail du cuir est omniprésent en Afrique au Kenya et au Mali, aux Canaries préhistoriques, en Europe centrale en Extrême-Orient

En effet, importante était la place que prenait autrefois la peau animale sous ses différents aspects, cuir dur ou souple, peau, fourrure, parchemin … Mais, de l’acquisition de la matière première jusqu’à son traitement et à ses usages, l’histoire de l’artisanat du cuir, reste largement à écrire.

Nous avons tous en mémoire la belle aventure de Haïdi, berger du Sinaï, 2000 ans avant notre ère… Il venait de tuer une chèvre pour nourrir sa famille et l’avait dépouillée de sa peau selon la coutume. Après l’avoir décharnée puis salée, elle séchait au soleil lorsqu’un fort coup de vent l’emporta. Elle tomba dans le creux d’un rocher de granit rempli d’eau de pluie. Haïdi ne la retrouva qu’un mois plus tard. Il la fit à nouveau sécher, puis s’en vêtit. Grand fut son étonnement lorsqu’il constata que la peau ne pourrissait pas, ne dégageait pas d’odeur et blanchissait au soleil.

Il n’en fallait pas plus pour qu’il recommence l’opération : la réussite fût la même.

Nous savons aujourd’hui que la roche contenait des sels d’alun et autres dissolvants dont l’eau de pluie se chargeait en ruisselant dessus. Haïdi l’appela « sel de roche ».

Mais, pour autant, il n’était probablement pas devenu le premier tanneur-pelletier de l’Histoire !

Cela peut surprendre, mais il faut remonter plus en arrière encore pour évoquer une méthode de tannage plus ancienne. On suppose qu’il s’agit de la technique de tannage à la fumée qui existait dès la préhistoire, car elle demande moins d’installations propres, est la plus simple à mettre en œuvre et semble la plus évidente. En effet, combinée au tannage à la graisse, cette opération dégage des aldéhydes, phénols et goudrons qui exercent un effet tannant en se mêlant à la structure du cuir.

En effet, il apparaît que les peaux revêtues par Ötzi (5300 ans av. J.-C.) l’Homo sapiens retrouvé dans les glaciers alpins des Dolomites en 1991 avaient été tannées par l’action de la graisse et d’un enfumage

L’antériorité de cette méthode reste une hypothèse mais on imagine difficilement les systèmes complexes du tannage végétal ou minéral être les précurseurs.

Le tannage végétal et le tannage à l’alun viendraient d’Orient, tandis que l’usage d’huiles de poisson serait déjà en cours dès la préhistoire chez les peuples d’Europe du Nord et les esquimaux.

Ainsi les techniques du tannage se ressemblent beaucoup de part et d’autre du monde. Elles connaissent des variations locales au niveau de leurs outils, des produits utilisés, des structures aménagées, mais le processus de tannage est sensiblement le même à toutes les époques et dans toutes les régions.

 

Et Graulhet dans tout ça ?

Un peu de patience, Graulhet va entrer dans la légende à son tour !

Comme à Troyes, Dijon, Amiens ou Limoux … etc. … Graulhet tannait elle aussi. Mais elle le faisait si bien qu’elle était connue de très loin. Si elle maîtrisait les trois facteurs indispensables au tannage : l’élevage, l’eau et la forêt, elle utilisait un tanin spécial et secret : la Rusque de Garric ou tannage à la garouille (écorce de chêne) qui faisait des merveilles associé au ph presque neutre de l’eau du Dadou.

On ne saurait jamais assez insister sur l’importance des forêts de chênes de Graulhet qui servaient de bois d’œuvre pour les maisons médiévales à pans de bois et dont l’écorce des racines broyée donnait un tannage fort recherché.

C’était un tannage rapide pour les cuirs de bovins, qui, ailleurs, nécessitait 18 mois alors qu’à Graulhet il suffisait de 2 mois !.

La couleur du cuir était d’un gris verdâtre, son prix abordable et sa solidité était inégalée en France.

Les « grolliers » cordonniers se multiplièrent et, très rapidement, leurs « croquenots » furent recherchés en raison de leur solidité. Un bûcheron « faisait 4 ans » de ses souliers de garouille, avec un simple entretien à l’huile de pied de bœuf.

C’est ainsi que, sous Henry IV, le marteau figura sur le blason de la ville. En héraldique le marteau représente l’objet qui sert à rompre et arracher les cottes de maille, ce qui indique que Graulhet était une place forte particulièrement bien défendue. Il représente aussi, dans l’imaginaire populaire, le marteau de cordonnier symbolisant le travail local du cuir.

C’est à cette époque que se situe un évènement très particulier à Graulhet : les lépreux de la maladrerie de l’Hôtel-Dieu de Toulouse s’en échappaient pour venir à Graulhet, au péril de leur vie, demander du travail sans autre rémunération que la permission de tremper leurs plaies dans le bain des peaux tannées au jus de garouille. En effet la garouille ayant une possibilité de pénétration des dermes bien supérieure aux autres tanins, associée au collagène des peaux, avait un effet cicatrisant. On ne constata aucune contagion. On dit même que certains guérirent, et que nombre d’entre eux restèrent à Graulhet.

 

La métamorphose de Graulhet

Tout au long du XIIIe siècle, la ville de Graulhet a profondément changé.

Ce ne sont pas les conséquences de la croisade albigeoise qui modifièrent l’espace urbain, mais le fruit de la croissance économique et du commerce.

Filatures de ratine, draperie, chapellerie, cordonnerie, travail des peaux et des cuirs, pelleterie, animent la cité et la font connaître bien loin.

Les tanneurs fournissent leur matière à quantité de métiers : selliers, lormiers, fabricants de harnais pour les chevaux, chaussetiers, savetiers, gantiers, relieurs de livres … Le cuir au Moyen Age a de multiples usages : il sert à faire des ceintures, des chaussures, des gants, des selles, des harnais, des outres ou des bouteilles !

Au sommet de l’aristocratie des métiers du cuir se situent les selliers et les lormiers. Les premiers font le revêtement en cuir de la selle dont l’ossature en bois est réalisée par les chapuiseurs. Les blasonniers ou cuireurs les couvrent de cuir et y peignent les écussons. Les lormiers font les mors de la bride et les ornements de métal des rênes. Les bourreliers et les selliers assemblent toutes ces parties.

Un des métiers les plus répandus est celui de parcheminier en raison du développement des administrations civiles et ecclésiastiques et de la naissance de l’Université.

N’oublions pas que ce beau métier se maintient à Graulhet avec Didier Lieutard, un des rares parcheminier de France.

Ce ne fut sans doute pas sans raison que fut fondée l’abbaye cistercienne de Candeil en 1150, près de Graulhet, sous l’impulsion de Bernard de Clairvaux. En effet, aux XIIe et XIIIe siècles, la réussite des cisterciens n’est pas que spirituelle, elle est aussi économique.

Sans oublier leurs vœux de pauvreté, les moines qui installent une nouvelle abbaye choisissent un site qui répond à des impératifs : il faut de l’eau (source ou rivière), du bois, de la pierre pour construire, des terres à défricher et à cultiver et … un isolement favorisant la prière !. Construire une abbaye est un chantier qui s’étale sur des dizaines et des dizaines d’années. L’impact est considérable pour la région. Lorsque l’abbaye atteint sa maturité, les principes qui la régissent (travail, autarcie, utilisation des convers) en font une unité économique très efficace. Les cisterciens ont eu une influence considérable sur le développement de l’agriculture : rationalisation des techniques de production animale, végétale, l’assolement et le développement de l’irrigation, l’exploitation forestière raisonnée. Dans chaque abbaye un ou deux moulins broient les grains ou foulent les étoffes…

L’abbaye de Candeil et ses 9 granges a été aussi une grande productrice de pastel.

Cependant au Moyen-âge les métiers du cuir restent modestes au regard des artisans du textile.

La production de la laine et autres tissus, notamment les draps de laine, est sans conteste la première activité urbaine.

La production d’un drap de laine nécessite une quantité d’activités. Après la tonte, les femmes battent la laine sur des claies pour en enlever les impuretés, puis la plongent dans des bains successifs pour la désuinter. La laine est ensuite cardée et peignée à l’aide de cardes, petites planches en bois rectangulaires dotées de dents. Placée entre deux cardes, la laine est peignée jusqu’à ce qu’elle soit facile à filer. Ce sont aussi les femmes qui filent à la quenouille. Quenouille à laquelle on suspend le fuseau que l’on alourdit d’un poids (le peson) pour tendre la laine. La laine est alors transformée en fil grâce à un délicat travail de rotation suscité par le poids du fuseau.

Le XIIIe siècle verra l’apparition du rouet.

Le cardage et le filage sont souvent des activités rurales apportant un complément de revenu aux paysans.

Une fois la bobine de fil constituée et vendue, le tissage peut alors commencer.

Autre activité entre textile et cuir à Graulhet : le feutre et la chapellerie encouragés par l’Amiral de La Jonquière, alors Gouverneur du Canada (milieu du XVIIIe). Cette production connut une période d’expansion au XVIIIe et jusqu’au milieu du XIXe siècle : sous-produits de la tonte des moutons et des peaux lourdes de bovins, d’équidés, de chèvres, la laine et le poil récupérés et traités devinrent du feutre mou pour le dos des chevaux et du feutre pressé pour les chapeaux lourds qui équipèrent les armées américaines pendant la guerre de Sécession (1861-1865). Sans oublier ce petit rond de basane, à l’intérieur du chapeau pour protéger le feutre de la transpiration !

Signe particulier qui marque l’essor de la ville : la construction du Pont Vieux en 1244 qui permet à Graulhet de franchir le Dadou et au quartier Saint-Jean de se développer sur la rive droite de la rivière.

Le travail du cuir, pour des raisons d’hygiène, se faisait « hors les murs de la ville »

Une visite des berges à partir du Pont Vieux permet de découvrir l’architecture des tanneries médiévales avec toutes leurs caractéristiques : arcades de pierres et briques pour le travail de rivière, étages à pans de bois pour la corroierie, galetas de persiennes et claustras pour le séchage.

Cette architecture rappelle les trois étapes essentielles du travail du cuir : le « travail de rivière » qui prépare la peau pour le tannage (trempe dans l’eau vive, épilage, écharnage), le tannage lui-même qui transforme la peau en cuir, substance imputrescible, par l’action du tan, du redon (petit bouleau de Montredon-Labessonnié), du sumac de Palerme, du quebracho d’Amérique du Sud, et enfin le corroyage qui transforme ce cuir tanné pour le travail du maroquinier.

Mais un évènement d’importance se produit en 1851 : l’arrivée à Mazamet des peaux de moutons importées d’Argentine, d’Australie ou de Nouvelle-Zélande.

A Mazamet le délainage, à Graulhet le travail des cuirots. C’est l’émergence de la mégisserie. Et le savoir-faire graulhétois va parcourir le monde !

Alors Graulhet s’envole, les mégisseries s’installent tout le long du Dadou et de ses affluents ; puis, au gré des évolutions techniques, hors de la ville.

Au lieu de quelques centaines de milliers de peaux à traiter, arrivent à Graulhet des millions et des millions de peaux supplémentaires par an.

Graulhet devient la capitale mondiale de la basane (doublure de chaussure). 300 coupeurs de semelles découpent au tranchet des millions de paires pour alimenter l’Europe et les usines BATA à Prague.

Puis on teint en jaune avec la racine d’épine-vinette, en rouge avec la mouche de l’espèce des cochenilles, en gris avec le sulfate de fer, en marron avec du bois de campêche fermenté.

 

C’est ainsi qu’en se diversifiant le « Blancher » devient « Mégissier ».

Durant plus d’un siècle (fin XIXe et XXe siècles) la mégisserie connaît un essor important, couronnant Graulhet capitale mondiale de la basane. Ce fut l’époque des grandes expositions universelles où Graulhet exposait son savoir-faire par de grands panneaux qui sont classés Monuments Historiques et que l’on peut admirer à la Maison des Métiers du Cuir, à la mairie, à la Chambre syndicale des Patrons Mégissiers.

En 1889, la profession compte 1000 ouvriers.

Au début de l’année 1900 on dénombre 47 mégisseries et 4 tanneries.

Parallèlement on note l’émergence de la fabrique de colles et gélatines à partir de la « chiquette » (parties du cuirot non conservées, telles les pattes).

Mais le travail est dur, notamment pour les femmes qui seront à l’origine d’une des plus longues grèves qu’ait connue la ville (elle dura 6 mois de 1909 à 1910), provoquant la venue de Jean Jaurès et son engagement à l’Assemblée Nationale.

En 1914, 85 mégisseries avec 2050 ouvriers sont en activité. Mais la guerre vide les usines et les campagnes.

L’activité qui demeure, sous l’impulsion du Dr Clément de Pémille, est la maroquinerie (où travaillent les femmes et les soldats blessés).

L’exode amène à Graulhet des artisans parisiens qui font évoluer la fabrication vers des articles de semi-luxe (porte-monnaie ou portefeuille en basane). Les ateliers se multiplient et évoluent rapidement vers la qualité en fournissant les plus prestigieux créateurs de Paris.

Après la guerre la maroquinerie représente la 2ème industrie de la ville.

En 1930, 95 usines emploient 3500 ouvriers.

La seconde guerre mondiale provoque la fermeture de 4/5e des usines.

Les années 1950 marquent la période d’un fort développement et du plein emploi : 116 usines, 3200 ouvriers.

Mais la fin du XXe siècle voit la chute de cette belle industrie.

 

Le patrimoine architectural industriel de Graulhet à travers le temps

Le patrimoine industriel de Graulhet est très divers. Qualité de l’eau du Dadou et de ses affluents, moulins et chaussées, longue tradition industrielle, évolutions dans le travail du cuir ont marqué de leur empreinte la ville.

Positionnées de préférence le long des cours d’eau, les mégisseries et autres fabriques se distinguent par les « parcours d’usage » des bâtiments au fil du temps.

Les anciens moulins et leurs chaussées

Moulins à grain, à tan, à huile ou à pastel, ces anciens moulins se sont progressivement reconvertis dans le moulinage (filature de ratine), le travail du cuir, voire le séchage et la maroquinerie, en raison de la proximité de l’eau et de la chaussée facilitant le travail de rivière (ex. le Moulin du Seigneur, les moulins de Ferran, du pont des Voûtes …).

Matériaux utilisés : pierre, bois, brique pleine, torchis.

Les usines des XVIIe et XVIIIe siècles

Elles ont contribué au développement de l’activité mégissière naissante, et se trouvent principalement dans le quartier Saint-Jean. Elles s’accompagnent généralement d’une petite habitation pour les ouvriers ou le tanneur à l’intérieur ou accolée (voir la très belle maison-mégisserie du XVe/XVIe rue Saint-Jean).

Matériaux utilisés : pierre, bois, brique pleine, torchis.

Les usines modernes « monumentales »

Généralement construites hors de la ville, elles traduisent l’âge d’or de l’industrie du cuir. On trouve sur le site maison de gardien et maison de maître à proximité (ex. l’usine Tignol –médiathèque).

Leur emprise au sol est importante et les différentes tâches du travail se répartissent horizontalement.

Matériaux utilisés : pierre, bois, brique pleine ou creuse

Les usines des années 60

Elles sont constituées de plusieurs bâtiments. Les tâches sont organisées de façon horizontale.

Matériaux utilisés : pierre, brique pleine ou creuse, parpaings et persiennes fibrociment, plaques Everit …).

Les usines ayant subi des modifications

Certaines usines se sont transformées au fur et à mesure de leur utilisation (petits bâtiments accolés ou proches), ou bien ont été reconstruites après un incendie.

Matériaux utilisés : ceux de l’époque de transformation.

 

A savoir °

Jusqu’au XIXe siècle la distribution des diverses opérations du travail du cuir dans les mégisseries s’organisaient de bas en haut (verticalement). Cette organisation est caractéristique des bâtiments du XVIIe au milieu du XIXe dans la ville.

Il s’agit :

- Du travail de rivière qui nécessite une quantité d’eau importante pour nettoyer et tanner la peau.

- De la corroierie qui correspond au travail de finition de la peau avant sa transformation.

- Du séchoir, ou galetas, dans les niveaux supérieurs, où séchaient les peaux (avec ses claustras ou persiennes).

L’évolution des métiers (tannage, préparation des peaux, séchage, maroquinerie …) ont conduit ensuite à la distribution horizontale du travail. Les agrandissements se sont alors faits par étalement.

 

Les mégisseries de Graulhet sont un élément important de l’histoire de la ville, mais surtout de celle des hommes et des femmes qui ont fait vivre ce patrimoine, producteur en son temps de richesse économique, et de renommée méritée.

 

bottom of page